​​Un nouveau regard sur les défis rencontrés par les femmes réfugiées dans l’accès à l’enseignement supérieur en Île-de-France 
Recommandations rédigées par : Clémence Decisy, Marie Dugenne, Nada Kawach, Shanese Rivera
Sous la direction de Andee Brown Gershenberg et Camila Ríos Armas

UniR participe au Certificat égalité femmes-hommes et politiques publiques, qui est une formation dirigée par Najat Vallaud-Belkacem et Hélène Périvier et proposée par l’École d’affaires publiques et le Programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre (PRESAGE) de Sciences Po depuis 2019.

En 2022, UniR a souhaité collaborer avec les étudiantes pour développer davantage leurs actions de recherche, de sensibilisation et de plaidoyer sur les politiques de lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes. Ainsi, les étudiantes ont travaillé sur les changements des politiques et d’actions du terrain depuis la publication de l’étude d’UniR en 2020, intitulée Les défis rencontrés par les femmes réfugiées dans l’accès à l’enseignement supérieur en Île-de-France. Cette étude a permis aux étudiantes de proposer des recommandations face aux enjeux d’inégalité persistants.

Recommandations

      Les recommandations suivantes sont destinées à s’appliquer au regard non seulement des femmes réfugiées, mais de la population réfugiée dans son ensemble. Elles sont établies sur la base des résultats de la recherche dans le but d’influencer les politiques et les programmes à venir. Compte tenu des différentes actualités sur le sujet, notamment la pandémie de Covid-19 et l’afflux de réfugié.e.s fuyant la guerre en Ukraine, il nous a semblé pertinent d’insister sur certains points comme l’accès à la formation à distance et aux outils numériques ainsi que l’importance de l’accompagnement administratif et psychologique. Ces orientations s’adressent à une diversité d’acteurs et peuvent s’adapter à chacune des fonctions des parties prenantes. Parmi eux se trouvent, entre autres, l’État français, les collectivités territoriales, les institutions publiques et privées, les acteurs de la société civile, et le secteur associatif.

Le rapport formule plusieurs recommandations sur lesquelles cet article s’appuie : 

| Aider à surmonter la barrière de la langue

La barrière de la langue constitue le principal obstacle auquel se retrouvent confrontées les personnes réfugiées et demandeuses d’asile dans l’accès à l’enseignement supérieur. Les études montrent que certains programmes linguistiques, s’ils permettent d’atteindre un niveau conversationnel, ne sont pas suffisants pour atteindre le niveau de langue requis pour suivre un cursus universitaire. Il s’agit donc, dans un premier temps, de consolider ces programmes afin qu’ils correspondent davantage au niveau attendu, que ce soit à l’université, ou bien dans le monde professionnel. Plusieurs solutions existent pourtant afin de surmonter cette barrière de la langue. De nombreux programmes linguistiques pensés pour favoriser l’insertion académique et professionnelle existent au sein de diverses structures telles que les associations ou les universités, comme : 

  • Les établissements du Réseau MEnS : ils accueillent, dans des programmes d’études spécifiques appelés Diplômes d’Université (DU) « Passerelle », des groupes de 10 à 150 étudiant·e·s exilé·e·s et proposent notamment l’apprentissage de la langue française dans une optique d’insertion sociale, académique et professionnelle en France. 
  • Le programme Inalc’ER de l’Inalco : il propose une mise à niveau en français pour les étudiant·e·s  réfugié·e·s et demandeur·se·s d’asile qui souhaiteraient rejoindre l’un de leurs cursus. 
  • Plusieurs associations travaillent sur différents domaines, tels que l’insertion professionnelle, pour permettre un accompagnement plus complet des étudiant.e.s exilé.e.s.

 Développer des partenariats entre les centres d’examens et les associations proposant des programmes d’insertion linguistique.

Le secteur associatif joue un rôle déterminant dans l’intégration linguistique des réfugié·e·s et demandeur·se·s d’asile. Or, il se retrouve souvent mis en difficulté lorsqu’il s’agit de proposer des certifications pour attester du niveau de langue des participant·e·s. Le développement de partenariats entre les centres d’examens et les associations proposant des programmes d’insertion linguistique pourrait apporter une réponse cohérente à cet enjeu de l’évaluation du niveau de langue acquis. Par ailleurs, le secteur associatif s’appuie sur le soutien de bénévoles qui donnent de leur temps pour soutenir l’apprentissage du français auprès des réfugié·e·s et demandeur·se·s d’asile. Il serait juste que ces heures de bénévolat soient encouragées par des opportunités de formations officielles pour les volontaires grâce à un soutien financier du Ministère de l’Éducation nationale.

 Décentraliser ces programmes de langues dans la région Île-de-France.

Il apparaît nécessaire de décentraliser ces programmes de langues dans la région Île-de-France, puisqu’elle reçoit près de la moitié des demandes d’asile enregistrées au niveau national et observe donc un besoin croissant d’accès à ces programmes. S’ils se sont fortement développés à Paris dans un premier temps, ceux-ci gagneraient beaucoup à être étendus dans les départements qui observent une forte concentration de réfugié·e·s et demandeur·se·s d’asile. Cela permettrait d’engager davantage de participant·e·s et de combattre d’autres difficultés telles que l’isolement social ou les préoccupations sécuritaires, notamment des femmes, pour se rendre dans les différentes associations loin de leur domicile.

 Ouvrir l’accès aux programmes d’intégration linguistique aux demandeur·se·s d’asile le plus tôt possible.

Enfin, alors que la question de l’intégration linguistique des primo-arrivant·e·s constitue l’un des objectifs clés de la Stratégie nationale de l’État pour l’accueil et l’intégration des personnes réfugiées, les programmes de langues ne sont pas garantis aux demandeur·se·s d’asile pendant la période d’examen de leur demande, qui dure plusieurs mois en moyenne. UniR recommande d’ouvrir l’accès aux programmes d’intégration linguistique aux demandeur·se·s d’asile le plus tôt possible afin de leur permettre une insertion socioprofessionnelle plus rapide.

 

| Développer la formation à distance

      Le développement de la formation à distance peut apporter une réponse efficace à la demande de formation des personnes réfugiées et demandeuses d’asile, ainsi qu’à l’apprentissage du français. Par ailleurs, la crise de la Covid-19 a montré qu’il était non seulement possible mais également nécessaire de développer des programmes d’enseignement à distance.

 Élargir l’éventail des programmes de formation à distance.

Il est important de proposer une diversité de formations davantage en cohérence avec les besoins exprimés par les personnes réfugiées. D’autant plus que les femmes réfugiées et demandeuses d’asile doivent souvent faire face à la difficulté de conjuguer études et vie familiale. Comme toutes les femmes, elles portent en grande partie la charge mentale liée à la gestion du foyer et des enfants. La formation à distance peut permettre de dépasser les barrières liées au temps nécessaire pour effectuer les trajets, aux horaires peu accommodants, aux contraintes familiales, etc. UniR a travaillé dans ce sens en mettant en place des cours de FLE à distance et un modèle de formation hybride pour apprendre le français.

 Développer des modèles de formation hybride.

La formation à distance peut également faire courir le risque d’un isolement et d’une plus grande difficulté d’intégration dans la société. Il s’agit alors de réfléchir à des modèles de formation hybrides conjuguant cours en présentiel et à distance. De même, il faut penser davantage de flexibilité dans la gestion de l’emploi du temps : regrouper des cours sur un ou plusieurs jours de la semaine afin d’éviter une perte de temps dans les transports, ou bien pouvoir choisir des horaires adaptés pourrait permettre de répondre davantage aux besoins de ces étudiant·e·s.

 Accroître l’accès à ces ressources en ligne et aux technologies nécessaires pour y accéder. 

Pour cela, il est nécessaire d’appuyer le développement d’un centre ou d’une salle d’accès informatique dans des associations déjà existantes ou bien de développer l’accès à des centres de formation à distance. Les associations auraient besoin d’une aide pour être équipées avec le matériel nécessaire ou bien être en mesure de prêter du matériel informatique. L’accès à internet facilite l’accès à l’information sur les ressources disponibles, aux associations et programmes d’accueil existants, aux démarches relatives à la demande d’asile, ou encore à l’inscription à l’université. Cet accès s’avère primordial pour les primo-arrivant·e·s car il permet d’accéder à la traduction des informations en différentes langues et d’apprendre le français. UniR encourage l’utilisation de ressources en ligne utiles pour les réfugié·e·s et demandeur·se·s d’asile, comme le site officiel réfugiés.info, et met à disposition des fiches et ressources sur son site internet pour fournir une aide supplémentaire.

 

| Favoriser le partage d’expériences et la mise en réseau : le programme Intercultur’elles.

Les femmes interrogées ont exprimé le besoin d’avoir accès à un espace de rassemblement et de connexion avec les autres, notamment pour développer des projets académiques et professionnels. Par ailleurs, les données montrent l’importance de la représentation dans la poursuite d’un cursus universitaire ou d’une formation professionnelle.

 Développer et valoriser les programmes de mentorat.

UniR a initié un programme de mentorat entre femmes, intitulé Intercultur’elles, conçu spécialement pour les femmes réfugiées et demandeuses d’asile engagées dans un processus de reprise d’études ou de validation des acquis de l’expérience. À travers le partage d’expériences personnelles, professionnelles et académiques, Intercultur’elles intègre une approche intersectionnelle à un programme de mentorat en binôme qui comprend aussi des ateliers collectifs. Il invite toutes les participantes à apprendre à développer un réseau ensemble, et à découvrir une diversité de cultures via le partage d’expériences. UniR suggère par ailleurs de renforcer d’autres initiatives de réseaux réservés aux femmes, que ce soit dans les universités ou dans les associations afin de rassembler divers individus et de leur apporter une ouverture vers la société locale.

 Développer des opportunités de stage pour les demandeur·se·s d’asile et les réfugié·e·s.

Le manque de réseau, les difficultés administratives liées au statut de demandeur·se·s d’asile, et les discriminations liées au genre, à l’origine ethnique ou à la maîtrise de la langue, se traduisent également par des difficultés à trouver un stage, ce qui entrave la poursuite de leur cursus universitaire. C’est pourquoi, UniR recommande au secteur privé et aux entreprises, d’envisager de développer des opportunités de stage pour les demandeur·se·s d’asile et les réfugié·e·s afin de garantir un recrutement inclusif et de valoriser les compétences et les expériences de chacun. Des associations comme Kodiko, la Cravate Solidaire ou encore Duo for a Job accompagnent les personnes réfugiées et demandeuses d’asile dans leur démarche d’insertion professionnelle et de recherche d’emploi.

 

| Former, sensibiliser et accompagner           

 Former les professionnel·le·s  sur les démarches administratives nécessaires à la poursuite d’études supérieures.

La complexité des démarches administratives s’avère souvent être un poids majeur dans la poursuite d’études supérieures pour les personnes réfugiées et demandeuses d’asile. Pour cette raison, il est nécessaire de former de façon adéquate les professionnel·le·s de façon à ce qu’ils et elles puissent transmettre les informations exactes sur les droits des personnes demandeuses d’asile. Cette formation du personnel des institutions académiques concernant les droits et les procédures relatives aux étudiant·e·s en exil devrait être systématique et prioritaire : le MEnS met déjà en place des webinaires destinés au personnel académique pour former sur la question des procédures administratives.

 Mettre en place un accompagnement académique et psychologique pour les étudiant·e·s réfugié·e·s et demandeur·se·s d’asile.

Il ressort des études qu’un suivi académique et psychologique semble important, voire absolument nécessaire à la bonne intégration et au bon déroulement des études. Ce suivi pourrait se traduire par la mise en place de safe spaces, ou programmes de groupe de parole, pour parler du choc culturel que peut représenter le départ de leur pays et l’arrivée en France. Il pourrait également permettre de mettre des mots sur certains traumatismes et d’aborder certaines difficultés telles que l’isolement et l’intégration. Une écoute et un accompagnement psychologique par des professionnel·le·s certifié·e·s pourraient également leur permettre de gagner en confiance en soi et de bénéficier de meilleures chances de réussite dans leur projet d’études.

 Développer la collecte de données et le partage d’informations pour répondre de manière efficace aux différents défis.

      UniR souligne qu’il existe à ce jour encore peu d’études ou de données officielles portant sur l’accès à l’enseignement supérieur pour les réfugié·e·s et les demandeur·se·s d’asile. UniR encourage la collecte de données, le partage d’informations et la coopération entre les différents acteurs agissant auprès de ce public afin de mieux répondre ensemble aux défis auxquels ces populations font face. L’initiative du réseau MEnS constitue une proposition intéressante, mais qui ne peut se passer d’un véritable soutien de l’État et d’une collaboration entre les établissements partenaires. D’une manière générale, le développement du champ d’études en lien avec la migration grâce à des partenariats entre structures universitaires et des associations pourrait permettre d’influencer la conception des politiques d’intégration à long terme de ces populations.